" Pour changer, il faut réaliser ce qu’on est. "
Lessy G.
A nouveau, je ne dors pas beaucoup. Je vais boire un café à l’Opera Café et je monte dans le bus. Je regarde le paysage qui défile en écoutant de la musique. Comme toujours. Je mange un peu de mon reste de pic-nic d’hier, bien que mon appétit soit toujours exilé je ne sais où. Je change de bus à Arvisdjaur. J’ai une heure alors je vais rapidement à l’office du tourisme demander si je peux utiliser Internet. Leur ordinateur ne fonctionne pas. Tant pis. Je me rends à la petite église de lav ille, magnifique, avec des fenêtres de style gothique, bien que manifestement elle ne date pas de cette époque-là.
Je monte dans un autre bus. Un troupeau de rennes magnifiques barrent la route à un moment donné. Ils me font penser aux moutons d’Ecosse qui vont n’importe où.
À force de réfléchir sur moi-même, ne sachant que faire de toutes ces révélations qui me sont tombées dessus si soudainement, je me demande si on peut réellement changer ce qu’on est dans le fond. Est-ce que quelqu’un qui blesse est voué à blesser toujours ? Est-ce que quelqu’un qui trompe pourra ne plus jamais tromper ? Quand peut-on faire confiance à quelqu’un ? A soi-même ?
De quoi pouvons-nous être sûr, dans la vie ?...
J’arrive enfin à Arjeplog. Je loge dans un charmant hôtel vraiment bien qui est une auberge durant l’été, appelé LyktanHotell. L’accueil est sympa, la chambre confortable.
Silvermuseet. Musée de l’argent, car Arjeplog se trouve sur la Route de l’Argent, de la côte suédoise à celle ouest norvégienne, à Bodø. Le musée présente la collection de Einar Wallquist, dit « Le Docteur des Sámi », qui a recueilli nombreux trésors sámi, bijoux, parures et argenterie. Un délicat plaisir visuel. Une partie du musée est réservée à la vie de tous les jours à Arjeplog, au 18-19ème siècle, depuis que certains sámi se sont sédentarisés. Il y a même une ancienne petite salle de classe adorable… Je me trouve plongée dans le passé, avec tous ces vieux objets qui ont été usés par tant de gens, ces outils rouillés, les veiux vêtements. Le musée est très beau, bien fait, agrémenté de vieilles photos en noir et blanc, superbes portraits de sámi dont je suis obnubilée encore une fois, comme si leurs visages si particuliers résonnaient en échos à l’ombre de souvenirs vécus dans une autre vie. Dommage que les explications ne soient qu’en suédois. Un film est projeté, comment une année se passe à Arjeplog, avec le fil des saisons. Les Suédois sont très fiers, je trouve. Surtout les habitants de ce petit village dont la beauté innocente semble tirée d’un conte de fées.
Arjeplog Kyrka. De loin la plus belle église que j’ai vue durant mon voyage. Pas très grande, en forme de croix avec une tour et une cloche, l’extérieur est recouvert d’écailles en bois peintes en rose pâle, l’intérieur bleu et blanc, avec la chair verte, richement décorée de dorures et sculptures. Très lumineuse, harmonieuse. La première construction de cette église date de 1650, sous l’ordre de la reine Kristina, sept ans après avoir découvert des sources d’argent à Nasafjäll. Elle a été détruite plus d’un siècle plus tard et reconstruite puis agrandie en 1894.
Arjeplog est magnifique, de sa couleur qui ne veut pas se décider entre le violet et le rose un peu trop rouge. Il y a dans ce village entouré du lac Hornavan un charme incroyable et des petits endroits intimes où il est bon de se retrouver pour réfléchir ou simplement admirer la beauté de la nature suédoise. Je me ballade le soir, quand c’est le crépuscule, sous la petite pluie qui tombe, si légère, depuis un ciel nuageux teinté d’orange. J’observe simpement chaque gouttelette tomber dans l’eau et former de petites bulles qui dessinent des minuscules lutins dansants. La seule limite, c’est l’imagination.
Je marche encore un peu et découvre une petite île accessible par un pont. L’île est riche en arbres et plantes d’un verte chatoyant, avec des petites habitations sámi trop vieilles pour être habitées. Je ressens soudain le terrible bonheur d’être accomplie. Ou d’être juste là et ici à cet instant précis. Cette sensation de soudain être bien avec moi-même est délicieuse.
Je me rends compte à nouveau que l’Authenticité, je l’ai trouvée, décidément. L’Authenticité, elle est là, quand je suis seule face à moi. C’est ainsi que je me sens le mieux, je crois. Car je peux être moi-même sans me blesser à cause du regard des autres, sans blesser les autres par mon regard chargé de jugements. Est-ce vraiment le meilleur moyen de vivre ?...
Je réfléchis trop. Et je fais mon choix. Demain, je ne poursuivrai plus vers le sud. Demain, je retourne d’où je viens. Demain, je retrouve mon Corrupteur.
Je replonge dans de vieux souvenirs transbahutés par la musique. Je repense à nouveau à tous ceux que j’ai laissés, à qui j’ai promis de revenir, que j’ai cru avoir envie de garder dans mon cœur pour toute une vie.
Qui sont-ils ?... Ces gens qui m’ont bouleversée, qui ont changé ma vie et qui m’ont oubliée. Ces autres humains éphémères en qui j’avais cru voir l’ébauche de quelque chose proche de l’éternel. À ce moment-là, pouvais-je m’imaginer avoir cette réflexion-ci ici et maintenant ? Avec ce chemin-là, tracé, ces couleurs-ci calquées, ces choix-là exécutés ?.... Cette mentalité de maintenant, être qui je suis à ce moment ?... Impossible. Improbable. Et plus tard ? C’est beau de se souvenir, d’imaginer les milliers de chemins qu’on ne prend pas chaque jour. Tout bascule, tout se métamorphose, tout change… Constamment…
Le vent tourne. Je quitte Arjeplog. Je suis heureuse. Tellement heureuse.
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