« Il vaut mieux avoir des remords que des regrets. »
Pierrot
À 6h30, on hisse nos affaires après que Lee nous ait pris en photo, et on s’en va direction l’arrêt de bus, passant à côté de la falaise aux mouettes hurlantes, angoissées et angoissantes. 6h50. Calme plat. Regard qui lance des appels. Quelque chose ne va pas. Je reluque une énième fois les horaires du planning que j’avais préparé. « Less ? ça veut dire quoi ikke ? » - « ça veut dire une négation. »
Le monde s’écroule autour de moi. Le bus ne viendra jamais. Angoisse. Un camping-car. Le type hippie cherche les baleines. Une autre voiture. La femme si douce va à Myre. Elle nous embarque. Bus pour Sortland. Timing parfait. Elle ne passe normalement jamais par cette route, sauf quand elle va dormir chez ses parents et c’est rare.
Six heures d’attente à Sortland. Dormir sur le banc de la salle d’attente. On n’a que ça a faire, rattraper le sommeil en retard, ou trouver un moyen pour laisser la porte des toilettes payantes ouvertes. Aller manger des frites pour changer des crackers. Faire du shopping pour décompresser. Et à nouveau le bus. Bus dans le ferry. Pendant un temps. Les gens autour de nous sont scotchés au poste de télévision. Des regards accablés. Des visages fermés. Quelquechose de grave se passe. La peur est palpable – le doute aussi. Qu’est-ce qu’on va devenir ?...
Les attentats d’Oslo. Une voiture piégée qui explose en plein centre ville. Une fusillade en périphérie de la capitale. Un Norvégien d’extrême-droite qui a pété un câble.
Nous sommes sur notre chemin pour Trondheim, encore au Nord. Pour voir Phil et Pierrot. Si ce dernier n’était pas en France jusqu’au 24, on serait venus à Trondheim après Tromsø. Et on serait peut-être au centre-ville d’Oslo pendant l’explosion.
Le monde est plein de coïncidences et de non-coïncidences. Mais toutes sont réglées par une seule règle qui défie les lois du Hasard. Je suis ébranlée, cependant, par ce qui s’est passé, sans que je puisse en comprendre et cerner les conséquences. Est-ce grave ? Très grave. Le pays n’a plus été frappé d’une bombe depuis la deuxième guerre mondiale – ça commençait à faire un bout de temps. Et j’ai peur, en fait. J’ai très peur de me dire que je viens d’un pays qui ruissèle de petits fous d’extrême-droite du genre qui, maintenant que les armes sont toujours permises à la maison, n’hésiteront pas à s’en servir pour prendre exemple sur le décentré du Nord et faire sauter la cervelle d’innocents.
Que puis-je faire ? Je suis piégée. Ce racisme, cette incompréhension, finalement, je l’ai observée partout. Partout où je suis allée. Alors à quoi bon s’enfuir à tout bout de champs ?... C’est le propre du monde, je crois, d’être stupide à ce point-là et de toujours vouloir haïr les autres pour leur différence.
Misanthropie. Hante-moi. Envahis-moi. Jusqu’au bout du monde…
On prend un autre bus. Dans celui-ci, je vois une ville femme qui fait de grands gestes de la main à la fenêtre alors que dehors, il n’y a personne. Peut-être fait-elle signe aux fantômes qu’elle quitte enfin à tout jamais ?...
On prend un train. Un train de nuit cette fois. Des sièges plus ou moins confortables. On vole à nouveau la couverture. Et après 24 heures de voyage, nous arrivons enfin à Trondheim… Comme il y a deux ans… Il est tôt. Très tôt. On tente d’organiser la suite du voyage. Les guichets ne peuvent pas nous aider car les transports ferroviaires norvégiens ne peuvent pas faire de réservation à l’étranger. On pensait rentrer par Amsterdam, dire bonjour au Corrupteur, ou retarder encore un peu notre retour. On finit par marcher jusqu’au Edgar. Comme il y a deux ans. Phil nous rejoint – quel bonheur. On déjeune et puis on prend le bus pour Moholt.
Décompression.
On reprend le bus au centre, juste Lessy et moi. Pour devenir, d’une manière particulière qui ressemble à une certaine fin du monde décrite dans la mythologie nordique, symétrique.
On passe la journée avec Phil, à discuter, marcher par ci et par là. Le soir, direction le Edgar pour boire quelque chose et se raconter des blagues. On dort tous les trois dans la petite chambre de Phil. Le lendemain, rebelote, on profite de l’air de Trondheim, on fait deux fois l’aller-retour (maintenant j’ai enfin mémorisé le chemin qui dure entre 30 et 45 minutes !). On se sent chez nous, ici. Mais ce n’est que le lundi que la famille se trouve complète. À 10h, on entend une voix et des coups à la porte. C’est Pierrot qui est rentré de France, comme il l’avait prévu. On va prendre un café, ou peut-être deux, pour être sûres que ceci n’est pas un rêve.
On se retrouve enfin tous les quatre. Cette famille qui m’a manqué durant ces deux dernières années. Ces deux lascars qui nous ont accueillies sous leur aile, si gentiment, si doucement. Ces deux gaillards tirés du fin fond des tripes de la vie, qui en ont vu de toutes les couleurs et qui sont toujours là, à croire au bonheur, si simple soit-il. Pierrot, qui se croit toujours en France avec de la bonne bouffe, nous donne l’idée de cuisiner. Des pancakes, des œufs au plat sur des tranches de pain toastées à la poêle, de la confiture, du café et du thé chai. Un peu plus tard dans l’après-midi, Elisa fait son entrée. C’est une amie française de Phil. Elle avait besoin d’une échappatoire, et vite. Elle se réfugie alors chez lui. On est censées partir le soir de son arrivée. On décide de repousser le voyage de vingt-quatre heures. À la place de sauter dans un train pour de nouvelles longues heures de voyage, on prépare des ravioles forestières qu’on dévore avec appétit. Quel bonheur, ensuite, d’aller boire quelques verres au Edgar et de rentrer pour regarder un film, la peau du ventre bien tendue et un reste de goût de pastis sur les lèvres…
On finit par s’habituer, à toutes ces présences. Et Elisa finit par faire partie de la famille aussi.
Il y a des choses qu’on ne peut pas nier.
05h22. Conversation dans la cuisine avec Lessy. Il faut faire moins de bruit ! Tout le monde dort, par ici. Café au soja et vinaigre. Histoire de se remettre les idées en place.
06h37. Lessy écrit de son côté, moi du mien. Toujours seules dans la cuisine. Tout qui tourne dans ma tête. Il faut écouter les signes de la vie. Tout ce micmac pour les réservations… Comme si tout nous montrait qu’il fallait rester ici. Au bord de la fenêtre, j’écoute la pluie. Toujours pas sommeil. Souvenir d’il y a deux ans : « Less ? Qu’est-ce qu’on fait maintenant qu’on est coincées ici ? » - « Je sais ! On a qu’a… rester en Norvège ! »
Si seulement…
Et pourtant…
Trondheim.
Toujours…
07h20. Je déprime. Bientôt je rentre. Je passe ma nuit sur le rebord de la fenêtre de la cuisine, à regarder en bas et puis à écrire en écoutant de la musique dépressive. J’ai pas envie de rentrer. J’ai pas envie de rester. Toutes les bonnes choses ont une fin. ‘faudra juste l’accepter. Encore une fois…
07h45. Toujours sur le rebord de la fenêtre. Je n’ai plus peur de tomber, ma foi. Avec les mouettes qui poussent leurs hurlements de vélociraptor. La bouteille de Ricard vide sur la table. Le café encore fumant. Amélie Poulain dans les oreilles, cette fois. Il n’est que 7h45. Non, pardon. Il est seulement 07h45. La fatigue est là. Mais le sommeil est timide aujourd’hui. Il fait déjà jour – encore. Pour la dernière fois je vois la nuit, je crois – après je rentre. Paraît-il.
08h25. Je réalise combien certaines choses semblent déjà écrites tellement elles sont logiques. En fait. Il ne pleut plus. L’inspiration est partie. Il faudrait peut-être que j’y aille.
La chanson se termine. Je me sens bien… soudain…
Blackout. Dormir. Interromptre. Continuer. A vivre. On verra. On verra…
Changement de plan. On annule Amsterdam. Je me sens un peu étrange et j’en tremble – trop de caféine ! C’est fini, tout ça, c’est fini ! On restera cette nuit-là encore. Ici, c’est tellement reposant. Ici, c’est calm. Ici, une heure, c’est un jour. Je compte les heures comme une prisonnière qui compte les secondes avant d’aller sur la chaise électrique. C’est pathétique, tout ça. Je suis tellement fatiguée que j’en perds le sommeil. Que pouvais-je faire de mieux ?... Paroles insensées qui se posent sur le papier. Moi-même je n’arrive pas à me relire. Plein de choses qui tournent en bourrique dans ma tête. Si j’explose pas maintenant, alors je suis sauvée. Étrange. Sentiment. De vide. Soudain. Nouvelle belle journée passée à faire les commissions et à manger comme des rois. On se croirait dans MasterChef, quand on nous regarde faire la cuisine tous ensemble, comme une vraie famille, s’aider les uns les autres et parfois se hurler dessus parce que les tensions sont trop fortes. Un ou deux films. J’ai de la peine à capter. Je préfère m’évader une nouvelle fois dans l’écriture, durant la nuit, sur le rebord de ma fenêtre.
Stop. Phil passe devant la fenêtre. Je l’interpelle. Il va faire un tour. Je l’accompagne. On marche un peu jusqu’à un pont, une de ses sources d’inspiration. Parce qu’il surplombe l’autoroute que toutes les voitures traversent, moutons sans visage qu’on observe depuis le pont sans qu’ils puissent nous voir. Le bruit des moteurs empêchent la voix d’être entendue. On peut parler, crier, chanter – personne n’aura jamais conscience de notre présence. Et c’est beau, en fait, de se sentir présents au-dessus de cette civilisation.
On rentre parce qu’il fait froid. Les autres sont perdus dans quelques mondes oniriques. Je retrouve le rebord de ma fenêtre encore une fois.
Je repense à mon voyage. Le fascinant paysage écossais… Nick qui arrête la voiture pour que j’immortalise dans ma mémoire les images avant de les ancrer sur la pellicule de mon vieil argentique. L’ai-je vécu ? L’ai-je rêvé ?...
Je voudrais fuir dans le sommeil. Le voyage va bientôt se terminer. Quelle obsessions…
TRONDHEIM, Norway.
Un point de chute que je retrouverai toujours. Parce que j’y ai déjà vécu beaucoup de choses – des Révélations, des Réponses, des Découvertes, des Amitiés, des Amours. Une échappatoire, un point d’ancrage, là où l’inspiration ne m’échappera pas. L à où je vivrai mes Arts en toute Harmonie.
Trondheim. Le Partage. La Fête. Les Bonnes Choses. Le Plaisir. Les Confidences. La Naissance de Créations.
Les Rencontres.
Ici, je sais, je reviendrai toujours. Pour EUX. Pour MOI. Avec ELLE. Et avec MOI.
Plonger dans l’océan gris, la mélancolie musicale, la sécurité de l’art. Une dernière fois durant CE voyage.
BLUE DREAM.
Things are going on.
Tour en ville avec Phil et Elisa. On s’y attache vite, à cette petite.
Un café-vanille-verre-d’eau au Edgar. Pour la dernière fois avant longtemps, je crois.
J’ai marché pour les rejoindre, j’ai enfin retrouvé mon chemin. Besoin de prendre l’air. Il fait beau. J’adore cette ville, encore une fois, je m’y sens chez moi, vraiment.
On rentre un peu tard – l’espace temps à Trondheim a quelque chose d’anormal. Pierrot et Lessy ont mijoté quelque chose de superbe. Ça fait du bien…
Vioxymore, la végétarienne qui mangera de la viande qu’à Trondheim.
La déprimante Mélancolie d’hier s’est soudainement échappée. Ça me convient, finalement. Vive le moment présent… bien qu’il ne se meurt chaque millième de seconde !
Le temps avance. L’émotion se palpe dans le salon. L’atmosphère devient lourde. La tristesse accable. Des larmes surgissent de nulle part. Elles ruissèlent, ruissèlent, ruissèlent.
Un torrent bientôt qui me noie.
Le taximan arrive. Il fait déjà tourner le compteur le temps qu’on se dise tous au revoir en se serrant très fort dans les bras. Phil regrette qu’on n’ait pas passé plus de temps ensemble. Il a tord, de toute façon, on reviendra…
… TOUJOURS.
… TOUJOURS.
… TOUJOURS…
Je les aime, ces deux lascars. Et leur petite protégée aussi. L’accent fran4ais trotte dans ma tête et résonne encore. Je ne veux pas le perdre.
Les larmes ne s’arrêteront donc pas ?...
Lessy est là. Heureusement, elle est là.
Et si nous sautions du taxi ? Et si nous loupions notre train encore une troisième fois ? Et si nous restions ici pour toujours ? Et si nous ne rentrions jamais ?...
La Norvège… A présent, je sais pourquoi.
On monte dans le train. J’hésite un long moment avant d’y poser un premier pied. Mais je crois que j’ai plus le choix. Il faut rentrer.
Le vent a tourné. Pour la dernière fois…
Merci pour ses moments de vérité, qui nous ont permis, à nous lecteurs, de se mettre dans votre peau (enfin, d'essayer) et de s'imaginer, d'imaginer, d'imager, d'im... ... ...
RépondreSupprimerPierre B. :)