" Il est des rencontres qui nous permettent de nous réconcilier avec le meilleur de soi-même . "
Jacques Salomé
Aéroport d’Arlanda. 20 minutes de train. Dois-je sortir au Sud ou au Nord ? Quel terminal ? Au hasard, je prends le Sud. Et je marche jusqu’au Nord, terminal 5.
Jus d’orange sur une table. Le temps passe lentement. J’écoute « Facing the sun » parce que ça me fait déjà penser à beaucoup de choses. Cinq mois se sont écoulés. Cinq mois sans voir cette personne très importante. Cinq mois que j’imaginais dans ma tête le moment de pouvoir la serrer à nouveau dans mes bras.
Cinq mois.
C’est tellement et c’est rien à la fois.
Cinq mois qui m’ont changée – va-t-elle me reconnaître ?
Cinq mois que j’ignore sa vie – a-t-elle beaucoup changé ?
Pareil et différent. Le comble du paradoxe. Pire : son paroxysme.
Quand je regarde dans le rétroviseur et que j’aperçois cette évolution constante et linéaire, qui semble énorme quand on la regarde à la loupe, mais minuscule quand on la voit juste de loin. Cinq mois intenses. Comme jamais je n’en vivrai d’autres, peut-être – ou peut-être pas. Cinq mois de folie furieuse et d’accablement de vérités. Des illusions qui tombent à la renverse, des prises de conscience, des convictions qui se construisent enfin, des rêves qui se forment dans l’air, vaporeux, éphémères, qui prennent soudain racine dans l’espoir et grandissent, se fortifient. Des projets qui tombent, d’autre qui se créent. Elle est là, cette vie. Cette merveilleuse vie qui vadrouille tantôt dans le creux de la douleur, tantôt sur la folle courbe heureuse de la vague. La voilà, cette vie merveilleuse. Et je ne la laisserai pas s’en aller.
Tout a basculé. Je me trouve pareillement changée. Comme on change de chemise ou de chaussettes. Dans vingt et une minutes, je la retrouve. J’ai peur et je souris – qu’est-ce qui nous attend ? Le temps a vite passé. Je n’ai rien vu venir. Qu’est-ce qui me prend ? Tout se stoppe soudainement. Incapable de penser, mon esprit se bloque dans cette réalité onirique. Où sont passés ces cinq derniers mois ? Je n’ai rien vu venir…. Je n’ai rien vu partir. Je me sens presque mal à cause de l’attente. C’est insupportable. Je suis impatiente. J’ai trop longtemps attendu. Et puis maintenant…
Tais-toi Vioxymore. Et savoure.
Encore un mot.
Au revoir avait été notre dernier mot. Simple. Tranchant. Tout aurait pu arriver entre cet instant et maintenant. Rien n’est arrivé, finalement.
Cinq mois se sont écoulés, disais-je, d’une rapidité lente et effroyable.
C’était comme un blackout, un burn out, un borderline. Une fuite, une escapade, une quête.
Mais on savait très bien ce qu’il y avait au bout du chemin.
Cinq mois c’est court sur une vie et c’est long sur un an.
Lessy est restée, Vioxymore est partie. Après avoir commis l’assassinat de son identité brisée. Elles se sont donné rendez-vous à l’étranger, cinq mois après le début de la fuite vagabonde de Vioxymore.
Et entre deux, quelques messages et emails. Une conversation épistolaire regroupant des dizaines de pages noircies. Comme une re-rencontre. Conséquence du mouvement de table rase. Elle avait sa vie là ici et moi je vivais la mienne là-bas. Rien à dire. Tout à raconter.
Réinitialisation.
Le disc dur de Vioxymore a été effacé. Des sensations, elle s’en souvient. Mais les souvenirs taillés précisément au rasoir ont disparu à cause de l’érosion. Sans doute à cause des larmes. Cette eau salée qui se verse quand la douleur non-dite devient trop forte.
Ça fait mal.
Même après cinq mois.
Voilà les pensées qui ne peuvent s’empêcher de se bousculer dans la tête d’une Vioxymore tendue par l’attente.
Le temps s’amuse, je présume. Quand on passe du temps plaisant, il prend ses jambes à son cou. Et quand on voudrait pouvoir faire un saut en avant, il fait du surplace.
La pendule se décide enfin à indiquer l’heure qu’il faut. Les portes de sortie s’ouvrent et se ferment sur le portrait géant de Greta Garbo qui me fixe l’air de dire « tout vient à point qui sait attendre ».
J’attends. Encore. Un peu. Et puis…
Une lueur s’allume. Elle déclenche une véritable explosion au milieu de l’aéroport.
Lessy a fait son entrée. Elle est la dernière à arriver. L’émotion est au summum de son attente.
Après cinq mois.
Elle court.
La dimension du monde entre dans quelque chose que je n’avais encore jamais vécu.
On rentre sur le pont du bateau-auberge. Sans jamais cesser de parler. On cuisine quelque chose d’à peu près convenable. Sans jamais cesser de rire aux éclats. On s’endort, doucement bercée par le bateau qui tangue un petit peu. C’est agréable…
Grands déjeuners qui font du bien au Schweizer Konditoret. Balades à Söder, à Långholmen sur les pierres chaudes où l’on s’endort presque, suivre les traces de Lisbeth – encore – et s’arrêter dans quelques magasins de seconde main. Boire un café au Mellqvist bar. C’est un peu comme si on se rencontrait pour la seconde fois. La confiance s’installe à nouveau, tout doucement, toute timide. Elle construit son nid tout lentement entre elle et moi, préparant un chaleureux coin propice à la confidence. Je me sens apaisée de l’avoir retrouvée. Quelque chose d’émouvant se passe à chaque seconde où nos deux regards se croisent. Après tout ce temps, tout de même. C’est troublant, peut-être, de rester moi-même avec toutes mes prises de conscience et mes souvenirs construits ces 5 derniers mois, d’apprendre à me découvrir une nouvelle fois en espérant qu’elle m’acceptera toujours telle que je suis dans le fond.
Dans les bars stockholmois, il y a deux toilettes dans une.
Les Suédois sont fous le lundi.
Les touristes américaines portent des lunettes à soleil dans les musées.
Les taxis stockholmois font des happy hour de 19 à 21h.
Les Suédois sont fous des Cadillacs.
Högalid church. À l’ouest de Söder, impressionnante et étrange église de style romantique national, avec deux imposantes tours en briques, datant de la première moitié du vingtième siècle.
On se perd, on se trouve, dans les rues stockholmoises. On traverse le Västerbron au centre duquel des milliers de cadenas sont attachés, formant une boule métallique mystérieuse. Ces cadenas dits d’amour ont été accrochés par des couples qui voulaient ficeler leur amour éternel, avant de jeter la clef dans l’eau. On continue, combattant la phobie de la hauteur. Ne pas regarder en bas. Regarder tout droit. Toujours. Tout droit.
On retourne au National Museum. Le silence grave du musée aspire aux sujets sérieux dont on parle en chuchotant sur des chaises au centre d’une pièce. On flâne un peu par ci par là, dans les magasins, pour s’extasier devant les Moumines qui rappellent notre enfance perdue – lointaine et dont l’innocence corrompue a disparu.
Le temps dans la capitale est révolu.
Le vent tourne.
Le train ne nous attendra pas.
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