" Les Suédois vont toujours en vacances en Thaïlande car ils bouffent des patates, regardent tout le temps la télé et s’en foutent de tout. "
Jason.
Je pars le vendredi soir avec un train de nuit. Le train a du retard. Je dois changer à Boden. Je dors un peu, je dessine, je regarde par la fenêtre le paysage plongé dans la brume, comme si on avait éteint la lumière allumée.
J’observe une petite Indienne toute seule, qui tente de s’incruster dans la conversation de deux gugus du Pays de Gales et une autre inconnue semblant être suisse. C’est intéressant d’observer ses coups d’œil envieux, sa bouche tremblante qui aurait tant de choses à dire et à partager avec les autres. Ses hésitations, ses tentatives puis son désir rétracté à cause de la timidité. Elle finit par parvenir à ses fins. Ils parlent fort. Mais je m’endors tout de même. Heureuse et bercée par le voyage.
17 heures passent presque comme de rien.
J’arrive à la gare centrale d’Uppsala. Je marche dans les rues rosées jusqu’à une auberge, en me rendant compte que ce n’est pas la bonne… Je reviens sur mes pas et trouve la vraie auberge, Uppsala Centralsation, qui a une réservation à mon nom pour deux nuits. Elle est toute neuve, sent le bois qui n’a pas encore vécu grand-chose. Je débarque dans un dortoir à six, très petit, sans rien pour ranger les affaires. On est un peu à l’étroit, surtout pour ceux, comme moi, qui dorment à l’étage d’un lit, car il n’y a rien pour se cramponner en montant et le plafond (qui peut s’ouvrir…) est si bas qu’on s’y heurte. Et la fenêtre est un joli trompe-l’œil : elle donne sur le couloir… Par contre, les sanitaires sont parfaits : très spacieux, lumineux et propres.
Je prends Jack sous mon aile et découvre Uppsala. Ville étudiante, ils sont bien-sûr en vacances. Mais peu importe, cette ville est possédée par une vie rafraîchissante et vivifiante. Elle respire l’ouverture en même temps que sa petite cascade artificielle dans le canal qui la traverse. La science et la Beauté d’apprendre se ressentent à travers ses vieux murs – ce n’est pas pour rien que cette ancienne capitale se fait surnommer la ville du Savoir. Je m’y sens bien, en sécurité, chez moi, à l’aise. C’est beau. Et ça me rend heureuse.
Museum Gustavianum. Une guide un peu grosse me propose de prendre l’ascenseur avec elle, pour l’éviter d’arriver en haut toute essoufflée avant la visite guidée. Je suis à voir la seule touriste qui s’intéresse à son discours. Et puis non. Trois autres personnes débarquent. La visite est en anglais. Le musée de l’université est sur plusieurs étages, parlant de divers sujets tous plus fascinants les uns que les autres. La ville d’Uppsala est réputée pour son université ouverte en 1477 car la Suède, grande puissance à ce moment-là, manquait gravement d’éducation. Au début, seuls les hommes étaient admis pour devenir prêtres et apprendre toutes les règles de l’église ayant le pouvoir à ce moment-là. Le professeur lisait les livres devant ses élèves qui copiaient chaque phrase, évitant ainsi de payer pour des livres hors de prix.
Une salle présente le plus beau cabinet de curiosités au monde, car il est entièrement resté intact avec tout son contenu. Il a été commandé par le collectionneur Philippe Hainhofer et offert au Roi Gustav Adolphus en 16332 alors qu’il se rendait avec ses troupes à Ausburg. Ce cabinet – en fait une commode – est une des plus belles choses que j’aie vue dans ma vie. Son concept est de contenir plus de mille objets fantaisistes et absurdes, peu communs et même inédits, dans le courant des 16 et 17ème siècles. Parmi ceux-là, une ceinture en peau humaine, des organes d’animaux séchés, des jeux d’illusions, des cartes de Tarot, des compas, des gants… La commode elle-même est immense, posée sur un socle en bois taillé raffinement, pouvant la faire pivoter dans un sens ou dans l’autre, ce qui était inédit à cette époque. Encore plus surprenant : un petit clavier incorporé dans la commode qui joue automatiquement à une certaine heure donnée par une horloge. Le sommet de la commode est décoré d’une montagne en coquillages et coraux ainsi qu’une énorme noix des Seychelles très rare, symbolisant le bateau de Vénus. Tous les petits tiroirs de la commode sont décorés de fines peintures et sculptures religieuses. À l’arrière est disposé tout un set luxueux de toilettes pour dame. Bref… Inutile de dire à quel point j’ai été fascinée par cet objet.
Dans cette même salle, toutes sortes d’objets pour observer les astres, des animaux empaillés, des peaux de poissons et des canards malformés, faisant partie de la collection du professeur Linnaeus dont je reviendrai plus tard. Je constate simplement qu’aux 16 et 17èmes siècles, les gens avaient une étrange obsession fascinée de l’anormal… Il y a exposé une bonne partie de la collection d’animaux, crabes, coquillages et minéraux de la Reine Louisa Ulrika.
En haut, il y a accès au théâtre anatomique du Docteur Rudbeck, celui qui avait la science infuse. Professeur à l’Université d’Uppsala, ce brillant savant connaissait littéralement tout sur divers sujets tels que l’archéologie, la science, la médecine, la botanique, les maths, l’histoire et la musique. Il a mis sur pied un amphithéâtre en 1663 pouvant accueillir 200 personnes pour assister à des dissections de prisonniers exécutés. Pour éviter que l’odeur du mort se faisant vider de ses entrailles ne soit trop insupportable, Rudbeck conclut un accord avec le gouvernement pour exécuter les condamnés en automne, quand la lumière est encore là, traversant les hautes fenêtres du théâtre. Encore plus fort : Rudbeck a même vendu des billets à des riches bourgeois pour qu’ils puissent assister à la dissection avec les autres étudiants. Et les spectateurs, serrés les uns contre les autres dans les étroits gradins pour ne pas tomber en cas d’évanouissement, pouvaient goûter, sentir et toucher le mort et ses viscères. Bref. Encore une fois, ce complexe d’attraction-répulsion me saisit. Je manque même de tomber à la renverser en m’approchant des divers fœtus humains, squelettes de bébés, jumeaux siamois et entrailles d’animaux, nageant dans du formol.
Je passe un peu la partie « Viking » du musée pour me pencher sur la salle qui présente des célèbres profs de l’uni, la collection de drogues pharmaceutiques et autres outils fascinants concernant la découverte de l’anatomie à ce moment-là.
Linnémuseet. Musée dans la maison du célèbre botaniste-docteur Carl Linnaeus, où il bécu de 1743 à 1748 avec sa femme Sora Lisa et leurs cinq enfants. Guide audio gratuit en anglais. La maison elle-même n’a rien de spécial, bien qu’il soit toujours intéressant de la voir dans son état telle qu’elle était autrefois, avec le même papier peint et porcelaine de Chine. Linné est en réalité l’inventeur des noms scientifiques des plantes et animaux, de la nomenclature et classification des espèces végétales, animales, humaines. Il possédait environ douze milles animaux et plantes avec leur nom scientifique, la plupart cherchés aux quarte coins du monde par son plus doué élève Anders Sparrman. Cependant, Linnaeus lui-même a voyagé en Suède et est le premier Suédois ethnographe ayant étudié l’évolution des êtres humains indigènes de son pays. On trouve d’ailleurs son portrait sur les billets de cent couronnes suédoises. La partie la plus intéressante est le jardin botanique, le plus vieux de Suède. D’abord créé par Rudbeck en 1655, un incendit le ravage en 1702 et Linnaeus reprend la relève en 1730 pour enseigner à ses élèves la botanique. Je ne m’y connais pas vraiment en plantes, mais ce jardin est d’une richesse délicieuse pour le plaisir des yeux et du nez, avec la diversité de plantes étranges. Je replonge même en enfance en dégustant quelques fraises des bois…
En rentrant à l’auberge après m’être balladée, je rencontre deux Allemandes dans la chambre. Silvana et Julia. Celle-ci parle assez lentement, d’un air rêveur. Pendant un instant, j’ai bien cru qu’elle était complètement droguée. Son amie, par contre, est très timide, avec une douce voix. Elles s’apprêtent à aller au cinéma et me demandent de les accompagner. Pourquoi pas, après tout ? On regarde « Something borrowed », une stupide comédie américaine à la noix. Plus je regarde ces comédies, plus j’ai envie de ne plus les regarder. Bref. Julia est en larmes à la fin du film et Silvana se trouve très sceptique. Les débats sont enflammés. On rentre à l’hôtel. Je vois le crépuscule pour la première fois depuis des semaines.
Les filles allemandes sont incapables d’ouvrir les portes suédoises.
Je rentre dans la chambre, elles restent dans la salle commune pour parler. Deux Canadiens et un autre gars silencieux sont aussi dans la chambre. Je parle avec les deux premiers qui sont adorables. Un d’eux a quitté le Canada pour retrouver sa copine à Umea. Il explique qu’ici, la vie est pas terrible, que le gouvernement cache bien les choes, mais les Suédois ne sont pas du tout ambitieux, ils abusent beaucoup du système et s’en foutent. J’ai aussi noté cela, les Suédois ne semblent pas très heureux. Ils semblent insensibles, distants. Cette attitude les rends plutôt moches et ferme complètement leur visage. Plutôt triste à voir. J’ai fait cette constatation dans le Nord. Peut-être qu’au sud, il en est autrement.
Les Suédois se disent « hello » pour se dire au revoir.
Gamla Uppsala. Je dois prendre le bus pour y accéder car c’est loin du centre. Je ne comprends rien à la machine pour avoir les tickets. Je demande de l’aide à un gars qui attend. Il m’explique et me fait prendre un billet moins cher car j’ai 19 ans. Le bus arrive. La conductrice est quelque chose que je n’avais jamais vu : un rayon de soleil bouillonnant de sourire, débordant de gentillesse et de douceur. Elle pleure presque car un des passagers lui a offert un bracelet et une bague en argent. J’avais envie de lui dire qu’il n’y avait pas de quoi être surprise, une conductrice de transports publics comme elle, on n’en rencontre pas tous les jours. Elle discute un peu avec le gars qui m’a aidée. En fait, il prend la relève ! Arrivés à Gamla Uppsala, il change l’heure du ticket valable 90 minutes, pour que je puisse prendre le bus plus tard sans payer. Le monde semble simplement beau, tout à coup.
Gamla Uppsala est la vieille Uppsala, l’actuelle portant le nom de Östra Aros à l’époque ou Gamla Uppsala était encore une important centre religieux. En 1245, un incendie ravage l’église et la ville perd de son pouvoir. Le pope propose alors de déplacer le centre archevêque à Östra Aros qui prit alors le nom Uppsala. Le site de Gamla Uppsala est constitué de terres, de trois grandes collines étant des tombes royales datant des 5 et 6ème siècles, bien qu’on ne sache pas exactement qui soient enterrés. La terre est mêlée à du sable, favorisant ainsi la pousse de beaucoup de plantes diverses, attirant de nombreux insectes. Cet endroit a été surnommé « Herbation walks » par Linné car il venait ici avec ses étudiants pour observer les insectes, notamment les abeilles dont il était fanatique. Je visite la magnifique église, si ancienne et pourvue d’un charme fou.
En Suède, il est possible d’acheter son billet de bus avec son téléphone portable.
Les magasins sont ouverts le dimanche, à Uppsala.
Hugo’s. Petit café où je peux prendre un VRAI latte macchiato au lait de soja, agréablement dégusté avec un punschrulle et un sablé aux raisins secs. Musique sympathique, ambiance estudiantine, gens bizarres que je me plais à observer. J’adore.
Domkyrka. La plus grande cathédrale de Scandinavie. Magnifique, en briques rouges à l’extérieur, son intérieur est richement décoré jusqu’au plafond, très fin, avec une grande chair dorée. La tombe de Linné se trouve là.
Je retrouve les Allemandes, on va visiter ensemble la cathédrale avant de rentrer à l’auberge pour se préparer quelque chose à manger. Quand la nuit a fini de jeter son voile, nous décidons d’aller se coucher. Quelle idée ! Nous avons des nouveaux colocataires : une Danoise, Signe, et un autre Allemand, Tobias. Ce dernier ouvre une bouteille de whisky qu’il nous sert dans des petits verres en chantant des chansons à boire en Suédois. Et c’est parti pour des heures de discussions enivrées, à même le sol de cette toute petite chambre. Les trois Allemands se trouvent bien ensemble. Tandis que moi je trouve mon compte chez la future journaliste qui doute et qui voyage pour tenter de comprendre un sens à sa vie.
L’ivresse endort. Le voyage continue. Le vent tourne à nouveau. Bientôt la capitale. Cette capitale que j’ai attendu depuis bien trop longtemps à présent.
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